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Expressions Libres /Web Galllery /   2002/2003         actualisation le :30/03/03

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Ce site est la page supplément culturel de la Revue bimestrielle Expressions libres.Elle est consacrée aux Arts,à leurs manifestations et aux questionnements qu'ils posent...

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-Kasimir Malevitch : expositions Paris - Berlin

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- DEBAT  :           Intelligence de L'art et enseignement religieux.par P.Cardinalli

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PAUL -  VIRILIO

Paul Virilio et le musée des accidents -fondation Cartier

http://www.onoci.net/virilio/pages/virilio/biographie.php?th=1&rub=1_2

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Revue Chimères:(article )

http://www.revue-chimeres.org/chimeres/framechi.html

bibliographie off line (articles,livres,entretiens)

http://www.freecyb.com/virilio/BIBLIO.HTM

Article du Monde " La Tragédie fait partie de l'histoire " (7 décembre 2002)

http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3246--301231-,00.html

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<Suprématisme> (Triangle bleu et rectangle noir) - 1915 - Huile sur toile, 66,5 x 57 cm - Stedelijk Museum, Amsterdam - © Stedelijk Museum, Amsterdam <Suprématisme> (huit rectangles rouges) - 1915 - Huile sur toile, 57,5 x 48,5 cm - Stedelijk Museum, Amsterdam - © Stedelijk Museum, Amsterdam Autoportrait en deux dimensions - 1915 - Huile sur toile, 80 x 62 cm - Stedelijk Museum, Amsterdam - © Stedelijk Museum, Amsterdam

K A S I M I R   -  M A L E V I T C H 

Musée d'art moderne de la ville de Paris:

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Deutsch-Guggenheim- Berlin:

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le Monde article du 1er Février:

http://www.lemonde.fr/

Le Musée virtuel de K.Malevitch

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R ESSOURCES

   

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  DEBAT 

Intelligence de l'Art&culture religieuse aujourd'hui.

 La Parole à Philippe Cardinali ( agrégé de philosophie,il enseigne la philosophie et l'histoire des arts à Marseille.Auteur de nombreux articles scientifiques ,il est également chercheur à l'INRP.et vient de signer un livre étonnant " l'invention de la ville Moderne " publié aux Editions de La Différence dans la collection essais.( octobre 2002)Critique à paraître dans le numéro 5 de la Revue Expressions-libres .

POST SCRIPTUM a été rédigé lors du Colloque International organisé par l'Ecole du Louvre en Avril 2002.

" Enseigner le fait religieux dans l'école laïque " est aussi le thème d'une conférence à Lille organisé par l'APHG, le 9 et 10 Novembre 2002.

Les actes du colloque d'Avril 2002  seront publiés par L'Ecole du Louvre.( à préciser )

 

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            Puisque c’est en qualité  de philosophe que je suis agrégé au corpus visibilis de cette ecclesia militans qu’est Notre Dame Éducation Nationale, on voudra bien me pardonner­ — par charité chrétienne ou autre — de m’exprimer ici en philosophe, ou de l’essayer, imprudemment sans doute après un colloque de la densité de celui auquel il nous a été donné d’assister.

            Le philosophe est homme sinon à problème, du moins de problème : on ne s’étonnera donc pas que ce soit autour de problèmes que tournent ces quelques réflexions.

            Chacun sait que résoudre un problème n’est jamais que savoir le bien poser. Et notre colloque — dont installé à l’impériale de mon TGV en partance pour le sud, je sors habité de cette joie où tel de mes illustres prédécesseurs voulait voir la marque du passage à un supérieur degré d’être — me semble avoir croisé, à tous les sens de ce vocable, un certain nombre de problèmes dont je crois opportun de les sérier, au moins dans un premier temps : car si rien ne dit que la solution de l’un est préalable à celle de l’autre, ou exclusive de celle-ci, rien non plus ne garantit a priori l’inverse.

            J’en retiendrai essentiellement trois : celui de la relation qu’il convient de comprendre entre intelligence de l’art et culture religieuse ; celui de l’opportunité d’une éducation artistique ou du renforcement de celle-ci, et donc de son exacte visée —, qui est aussi celui des obstacles qu’elle est exposée à rencontrer sur sa route, et des ennemis naturels qui sont les siens ; celui enfin de sa démarche et de sa méthode, entendue au sens large du terme.

 

Intelligence de l’art/Culture religieuse/et

            Intelligence de l’art et culture religieuse aujourd’hui.

Dans sa vaste entreprise de dénonciation de ce qu’il nommait la « philosophie de la grammaire », Nietzsche invitait à éclater de rire « face à la sublime prétention de la petite copule “ et “ », dans l’expression « l’homme et le monde » : parce qu’il la jugeait de nature à induire de l’égalité grammaticale des termes cordonnés à la parité ontologique des réalités pointées par ces termes, et de ce néant qu’est l’homme au tout qu’est le monde, pour parler comme Pascal.

Il me paraît important que nous ne commettions pas un analogue impair.

S’agit-il pour nous de réfléchir à l’hypothèque que la baisse de la pratique religieuse fait peser sur la compréhension d’un art religieux pour la majeure partie de son histoire (à y bien regarder, l’art purement laïc n’est guère plus vieux que la galerie d’art, avec laquelle celui-ci bascule dans l’époque de la marchandise) ? Ou d’envisager les opportunités catéchétiques de l’art, ne fût-ce que par le recours à la séduction des belles formes ? Car les deux leçons s’entendent également sous notre libellé.

La seconde pourrait certes se réclamer d’illustres précédents.

On songera bien sûr au Concile de Trente, dont pour ma part j’ai tendance à penser qu’en matière d’art, les débats théoriques dont il fut l’occasion valent infiniment mieux que leurs prolongements artistiques, dont le Saint Sulpice aura été l’aboutissement sinon l’accomplissement. Mais nous pourrions aussi bien évoquer l’étonnant testament du pape humaniste Nicolas V, dont la bibliothèque constitua le noyau de la future vaticane : il y justifie sa politique de grands travaux dans l’ancienne Caput Mundi par le souci de voir l’affirmation enseignée par les clercs de l’autorité de l’Église être « corroborée et confirmée par de grands édifices, sortes de rappels permanents et de témoignages presque éternels, comme s’ils avaient été faits par Dieu, lorsqu’on en vient au point que cette opinion soit continuellement inculquée dans les contemporains comme dans leur postérité par ce spectacle d’admirable construction », œuvre d’une architecture dont le Pontife entendait manifestement faire une Biblia Pauperum, pour reprendre l’heureuse expression de Manfredo Tafuri. Mais nous pourrions aussi penser à l’explosion de l’art de l’icône consécutive à l’éblouissant travail spéculatif conduit par un Saint Jean Damascène, un Théodore Stoudite ou un Nicéphore le Patriarche lors de la grande crise iconoclaste initiée par les empereurs byzantins, et qui trouva sa conclusion dans la réhabilitation des images par le concile de Nicée II — dont la commémoration constitue l’une des fêtes majeure du calendrier orthodoxe. En nous rappelant au passage que, sollicités par les deux partis, Charlemagne et Alcuin trouvèrent le moyen de ne pas s’immiscer dans la byzantine querelle sur la licéité de l’imago sacra (« nec adorare nec frangi ») en promouvant de préférence à son culte, dans la Chrétienté d’Occident, celui des reliques, dont deux de nos intervenants nous ont brillamment rappelés l’impact qu’il eut dans l’histoire des arts. Et comment pourrais-je, au moment de retrouver les berges de ce Lacydon au voisinage duquel j’enseigne, ne pas évoquer pour conclure la célèbre lettre adressée aux alentours de l’an 600 par le saint pape Grégoire le Grand à son frère Serenus, l’évêque de Marseille, où cent cinquante ans avant le basileus Léon l’Isaurien, le prélat avait initié une politique résolument quoiqu’ante litteram iconoclaste ? « Ce que l’écrit procure aux gens qui lisent, la peinture le fournit aux analphabètes qui la regardent, puisque ces ignorants y voient ce qu’ils doivent imiter ; les peintures sont la lecture de ceux qui ne savent pas leurs lettres, de sorte qu’elles tiennent le rôle d’une lecture, surtout chez les païens », y écrit notamment le pontife, fixant ainsi la doctrine ecclésiale de l’imago laïci liber à laquelle on se référera encore à Trente, dans la lignée de son aîné et homonyme Grégoire de Nysse : reconnaissant dans la peinture ou la mosaïque, en une heureuse formule, « un livre doué de langue au moyen de ses couleurs », le Père capadoccien concluait, dans son Éloge de Saint Théodore en observant qu’« un dessin sait, tout en se taisant, parler sur le mur et rendre les plus grands services ».

Pour intéressante que puisse apparaître cette façon de concevoir la coordination de l’intelligence de l’art et de la culture religieuse, force est cependant de reconnaître qu’elle ne saurait trouver sa place autrement qu’à titre d’objet d’étude à l’intérieur d’une école laïque, comme celle que nous servons au nom de la République, quelle que puisse être au demeurant notre obédience religieuse, si tant est que nous en ayons une. Et pour prévenir l’éventuel grief d’intégrisme laïcard, je prendrai le risque de ne pas avancer masqué. Paraphrasant Lui Buñuel (auquel plus qu’aux mères catéchistes et pères abbés à qui la tâche ingrate de m’instruire en ces matières ne pouvait avoir été imposée qu’à titre d’épreuve, je dois par La voie lactée interposée les vrais débuts de ma curiosité pour la dogmatique chrétienne, et d’avoir commencé à m’instruire de théologie en même temps que je le faisais de marxisme, encore qu’avec plus de discrétion : on n’échappe jamais totalement à son temps ni aux engouements générationnels !), je le confesserai donc : sauf intervention d’une grâce par définition imprévisible, je mourrai agnostique sinon athée, grâce à Dieu, en même temps que catholique, apostolique et romain — par culture autant que par atavisme onomastique.

C’est donc au service de l’intelligence de l’art qu’il convient que nous mettions la culture religieuse, et non l’inverse. Pourrait-on, d’ailleurs, parler autrement que par approximation de culture dans le cas contraire, et ne conviendrait-il pas alors de substituer à ce vocable de « culture », intrinsèquement porteur de l’idée et de l’idéal d’un devenir-autre, celui de tradition ? Du moins si nous entendons le mot culture dans son originelle acception française, où il ne se peut employer qu’absolument, et non dans celle qu’il a acquise par contamination homophonique d’un allemand « Kultur », mieux ou moins mal traduit par « civilisation » : je veux dire comme autre chose que comme le fourre-tout où se juxtaposent dans une joyeuse et démocratique indifférenciation les normes de la pudeur, les habitudes vestimentaires et alimentaires, Virgile et Loft Story, la théorie de la relativité et l’astrologie, Michel Ange et Ben Vautier —, bref l’ensemble de ce qui définit pour une communauté humaine donnée à un moment donné, ou une partie de celle-ci (sous les espèces par exemple de ce qu’en un bel oxymore d’aucuns nomment la culture « jeune ») la part de ce qui en elle ne relève pas de l’inné. En d’autres termes, si nous entendons sous le nom de « culture » non pas cet acquis par lequel l’animal inachevé que nous sommes devient périgourdin ou allemand, ou jeune, ou ménagère de moins de cinquante ans, mais bien ce construit qui le construit comme homme, dans la conscience renouvelée de l’essentiel inachèvement de cette tâche.

 

Art et culture religieuse

            Par quoi je suis conduit à une observation. Nous ferions fausse route si nous considérions que la principale cause de la difficulté rencontrée par nos élèves à comprendre des œuvres à contenu religieux est à rechercher dans la régression de la pratique religieuse. Ce n’est pas au catéchisme, mais à mes maîtres professeurs d’histoire et de Lettres que je dois de savoir différencier calice et ciboire, d’être averti du problème de la présence réelle, et a fortiori de savoir reconnaître Orphée dans ce monsieur affublé d’une cithare que côtoie une charmante jeune femme aux prises avec un serpent.

Non que je veuille dire ici que, comme la guerre était aux yeux de Clémenceau chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires, la religion est chose trop sérieuse pour être laissée aux religieux — même si les diverses formes et obédience de l’intégrisme nous démontrent chaque jour hélas avec plus de vigueur que notre laïcité, à laisser au nom de son exigence de neutralité la religion aux portes de l’école, en a offert sur un plateau l’apanage à des gens dont le souci du sacré ne paraît pas être la plus évidente motivation.

Je veux simplement observer que la connaissance de la religion qui est celle du croyant peut sans doute procurer une première voie d’accès à l’art sacré, mais qu’elle ne saurait suffire à permettre la constitution d’une véritable culture artistique — et pas seulement parce qu’il n’est guère praticable d’être le fidèle de plusieurs religions en même temps. Le même Malraux qui rappelait opportunément qu’avant d’être un tableau, une Madone était un objet de piété, disait aussi que pour rentrer dans le peuple des statues, un byéri Fang devait cesser d’être d’abord une statue d’ancêtre.

Nous avons, en somme, besoin d’une connaissance de la religion qui relève non plus de la Kultur, mais de la culture prise dans l’acception plus haut rappelée. Et cette connaissance pourra en retour trouver dans l’art une de ses plus puissantes médiations. Ajoutons que de cette connaissance-là, qui est critique au sens le plus élevé de ce terme, la religion authentique, celle qui seule mérite le respect et constitue une dimension essentielle de l’expérience humaine plutôt que l’illusion ou l’opium du peuple qu’on a pu dénoncer naguère, n’a rien a craindre, mais bien plutôt tout à gagner : en tant qu’elle peut y trouver les moyens de s’émanciper de cette sorte de tradition ignorante de ses fondements pour laquelle le passé est un poids qu’on traîne plutôt que cet héritage susceptible de fructifier qui faisait dire à Nietzsche que l’avenir appartient à celui qui a la plus longue mémoire. On sait qu’au plan de la psychologie individuelle, l’impossibilité conjointe d’évacuer le souvenir du passé et de se le remémorer clairement conduit généralement à l’hystérie.

Nous y gagnerions au demeurant de passer d’une laïcité négative à une laïcité positive, ce qui ne serait pas un luxe — la première se trouvant de plus en plus exposée par la disparition du monopole religieux, caractéristique de nos sociétés ouvertes, à n’induire que cette tolérance de juxtaposition qui n’est au fond que la forme faible et hypocrite de l’intolérance, et dont le « pense ce que tu veux » signifie surtout « laisse-moi penser ce que je veux et ne te mêles pas de me poser des questions m’imposant d’abandonner mon mol oreiller dogmatique ». Tolérance moins républicaine que démocratique, si l’on veut, et en tout cas peu propice à la nouaison d’un lien social autre que tribal ou communautaire, et moins favorable à l’existence d’une société authentique qu’à celle d’une mosaïque de communautés enfermées plus que portées par leur passé.

Mais c’est là un autre problème, et qui ne concerne plus qu’indirectement nos débats.

 

L’éducation artistique, pour quoi faire ?

            Une fois admis que l’intelligence de l’art a vocation, dans un système authentiquement éducatif, à utiliser à son profit la culture religieuse plutôt qu’à se mettre à son service, reste la question de l’opportunité d’une éducation artistique, en ces temps où les doctes, et les politiques ou ce qui en tient lieu, opposent comme une litanie les secteurs productifs aux autres : combien de point de PIB en plus, l’éducation artistique ? Et pour quel coût ? Et à quelle fin ?

            S’agit-il de développer l’enseignement artistique parce que, comme le rappelait avec une opportune ironie l’un des intervenants, chacun sait que la musique adoucit les mœurs ? Que donc on peut peut-être espérer, en mettant tous les arts ensemble à contribution, résoudre enfin le problème de ce que notre temps nomme « les incivilités » — suivant ce goût de l’euphémisme caractéristique d’un politically correct renouant avec les plus antiques conceptions magico-religieuses du langage ? Le sauvageon sera-t-il davantage soluble dans l’Histoire des Arts que dans l’ECJS ?

            Comparaison n’est pas raison, je le sais bien, et aussi qu’il ne convient pas de comparer ce qui n’est pas comparable. M’autorisant cependant de l’observation socratique que les grandes lettres sont d’un déchiffrement plus aisé que les petites, je noterais que l’orchestre héroïquement créé à Auschwitz par la nièce de Mahler n’a pas sensiblement amélioré les mœurs d’une soldatesque SS au demeurant issue d’une des nations européennes de qui l’art et généralement la culture n’étaient pas totalement ignorés.

            J’ajoute que si je suis, comme éducateur, éminemment favorable à la greffe, sans laquelle le sauvageon ne peut porter aucun fruit susceptible de servir à autre chose qu’à sa propre reproduction autiste, je suis sur le même registre et pour les mêmes raisons résolument hostile à l’enseignement d’un art qui serait un nouvel opium du peuple à défaut d’être la nouvelle religion que veut y voir Régis Debray, et dans lequel on ne chercherait qu’une nouvelle et déculpabilisante camisole psychologique — comme Nietzsche faisait déjà reproche aux wagnériens, sinon à Wagner lui-même, de la pratiquer à Bayrenth en matière d’opéra.

            Craignons ici de ne prendre la cause pour l’effet, et de considérer comme un remède au mal ce qui n’est que le symptôme qu’on n’en est pas atteint.

 

L’Art, le Bon Dieu, le Capital et le Fils de l’Homme

            Je ne saurais souscrire à l’élégant paradoxe formulé par Régis Debray lorsqu’il déclare que l’art n’est pas l’enfant du Bon Dieu, mais celui du Capital — même s’il peut paraître s’autoriser des subtiles recherches d’un Baxandall dans L’Œil du Quattrocento notamment. Comme le Capitalisme, que caractérise fondamentalement cette disposition stigmatisée de nos jours sous le nom d’Arraisonnement (Ge-stell) par un Heidegger désignant sous ce vocable « le mode suivant lequel le réel se dévoile comme fonds[1] », et « la nature […] comme un complexe calculable et prévisible[2] » —, ce que nous avons appris de la Renaissance à nommer l’Art procède d’un retour d’intérêt pour ce dont Platon invitait le philosophe à se détourner : le monde sensible, où il ne voyait que l’infirme copie et l’image plus qu’imparfaite et trompeuse du monde intelligible, du monde des Idées, unes, éternelles et immuables, donc seules à même de procurer une véritable connaissance — monde comme tel seul digne de notre souci : on sait que dans la philosophique cité de Kallipolis, les artistes n’ont pas leur place. Et le Christianisme, sous la forme ascétique qui l’a d’abord dominé — au moins dans notre Occident, qui n’a pas par hasard choisi de se faire traduire les Écritures par Saint Jérôme — a dans un premier temps repris à son compte la défiance platonicienne à l’égard du monde sensible, allant sous la plume d’un Innocent III jusqu’à proclamer dans un même élan la misère de la condition humaine (De hominis conditionis miseria), et la nécessité de mépriser ce monde (De contemptu mundi). La Renaissance témoigne de ce qu’on peut avec Huyghe, Chastel, Klein et quelques autres, appeler une redécouverte ou une reprise de possession du sensible — le re- étant au demeurant problématique, qui renvoie à une priorité, sur ce registre, des Anciens, dont j’ai de plus en plus de mal à admettre qu’ils aient eu la même attention pour ce monde-ci et pour l’homme que ceux qui au Quattrocento se voudront leurs héritiers, et inventeront ainsi le Rinascimento. Reste qu’en cette période qui est aussi bien l’automne du Moyen Âge que l’aube de notre modernité, surgit un nouveau type d’attention à ce qui n’avait été jusqu’alors qu’un ici-bas ne trouvant son sens que hors de lui, dans l’au-delà de ce que Nietzsche a appelé les « arrière-mondes ». Un médiéval n’eût jamais écrit, comme le fait Alberti en son Della famiglia, « la Natura cioè Iddio », la nature, c’est-à-dire Dieu.

            Et l’un des premiers témoignages de cette profonde mutation du regard occidental sur ce monde-ci est à rechercher dans l’admirable Cantique des Créatures, composé par le Poverello d’Assise durant l’hiver 1224-1225, à une époque où l’inaugural capitalisme italien était encore par trop dans les langes pour qu’on puisse lui reconnaître la puissance de sécréter, au plan de ce qu’on eût naguère nommé les superstructures, une forma mentis assez puissante pour fonctionner comme idéologie. Et pour quiconque se préoccupe un minimum de chronologie (comme il n’est pas déplacé de le faire quand on entend parler Histoire…), le souci de ce monde-ci, dont chacun dans la sphère qui est la sienne, le Capitalisme et l’Art naissants témoignent concurremment, peut apparaître trouver sa source sinon unique, du moins majeure, dans l’approfondissement, initié au début du second millénaire, d’une méditation christologique déplaçant l’accent du Fils de Dieu, privilégié par un précédent millénaire plus exclusivement épris de transcendance (peut-être à la suite de l’overdose romaine d’immanence impériale), au Fils de l’Homme : je renvoie sur ce point aux travaux d’O’Malley et de Steinberg.

            Je rétorquerai donc volontiers à Régis Debray qu’il se méprend sur les liens de parenté en voulant faire de l’enfant des Muses celui du Capital plutôt que du Bon Dieu, et — paradoxe pour paradoxe — qu’Art et Capital sont les enfants d’un Dieu fait Fils de l’Homme, sans m’engager plus avant dans les méandres d’un lien fraternel qu’on sait depuis sa première version abelo-caïnienne qu’ils peuvent être des plus problématiques.

 

Art et lien social

            En revanche, je souscris volontiers à son idée que nous nous méprendrions grandement à croire l’Art, et avec lui son enseignement, capables de pallier à eux seul la déliaison toujours plus patente du lien social, en nos sociétés post-modernes dont les membres ne sont plus guère capables de se mobiliser qu’à la marge, même si c’est par-dessus les océans et les barrières linguistiques, pour élever ces cathédrales auxquelles leurs ancêtres, eux, contribuaient en masse. Et j’admets volontiers, dans la lignée d’un Auguste Comte dont Régis Debray partage le goût avec son maître Jacques Muglioni, que la cohérence de son art, d’autant plus remarquable qu’elle s’accompagnait d’une prodigieuse diversité, est moins la cause de l’unité spirituelle de l’Europe jusqu’à l’époque contemporaine, que le symptôme le plus éclatant de celle-ci. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas d’abord en tant que vestige et témoignage de cette unité spirituelle perdue que l’art draine en masse les visiteurs dans nos expositions et nos expositions, y compris les plus difficiles et absconses. En ne manquant pas de faire simultanément observer que cette incontestable unité spirituelle n’a pas empêché l’Europe de se s’entre-déchirer à qui mieux mieux pendant cette même période, jusqu’à embraser le monde à deux reprises durant le dernier siècle, avec une violence dont tous les actuels sauvageons de la planète se montrent pour l’instant encore incapables, grâce à Dieu !

            J’ajoute que l’art paraît d’autant moins propre à fédérer aujourd’hui les consciences qu’il demeure tributaire des problématiques de l’avant-garde, constituées il y a maintenant un bon siècle, et qui tendent toujours à constituer en critère unique de l’artisticité de l’œuvre sa capacité à rompre en lisière avec toutes les habitudes mentales et toutes les traditions, vues comme les ennemies absolues d’une « créativité » valorisée absolument, et entendue comme capacité à « bâtir sa cause sur rien », pour reprendre la formule de Max Stirner.

            Comment l’art pourrait-il être le levain d’une communauté, quand chaque artiste, voire même chaque œuvre, prétend instaurer son propre langage, pour s’instituer comme langue ? Et refuse eo ipso comme indigne de soi d’être seulement une parole que sa singularité idiolectale n’empêche pas de s’énoncer dans un idiome partagé, s’ouvrant ainsi par nature à l’entente de l’autre, sans exiger de lui, comme préalable, qu’il renonce à sa propre langue ? Si Mallarmé, qui proclama la destruction sa Béatrice, voulait que le poète sût « donner un sens plus pur aux mots », ceux-ci n’en devaient pas moins demeurer ceux « de la tribu », fussent-ils « abolis bibelots d’inanité sonore ». Et comment l’art pourrait-il prétendre résoudre nos problèmes, ou simplement nous y aider, quand il semble depuis Marcel Duchamp (ou plutôt la proliférante lignée des épigones que sa profonde et subtile réflexion, par eux réduite à une simple provoc pour bal des Quat’Zarts, semble n’avoir engendrée que pour justifier l’expression « les petits fils d’un grand père »), n’être plus guère capable que de poser et de se poser encore et encore, avec l’opiniâtreté creuse et radotante du gâtisme, la question même pas de son essence, mais simplement de son existence : tout est art/rien n’est art, et Da capo ! Et cela sans jamais atteindre, hélas, la poignante authenticité d’Hamlet face au crâne du poor Yorick : galeries et musées sont mieux chauffés, et plus confortables, que le cimetière d’Elseneur, et leurs figurants mieux rétribués que les comédiens de la cour de Danemark…

            Je ne sais s’il est vrai, comme le voulait un Dali auquel je m’étonne encore d’avoir entendu telle de mes amies artistes reprocher de « savoir trop bien peindre », que « tout ce qui n’est pas tradition est plagiat ». Mais il me paraît évident qu’un art n’ayant plus d’autre tradition que le refus et le rejet des règles de la sienne est bien mal placé pour aider les hommes que nous sommes à construire un vivere comune — pour user des mots d’un Machiavel ami de Léonard et probable auteur du programme de sa Bataille d’Anghiari, qui était bien placé pour constater que l’art ne suffisait pas à produire du lien social, en sa Florence mère de la Renaissance et de plus d’artistes qu’aucune autre contrée avant ou après elle, mais où l’on s’égorgeait avec entrain, mobilisant même un maître perspecteur comme Andrea del Castagno pour en faire Andrea degli Impiccati (André des Pendus), en lui faisant peindre les effigies des membres de la conjuration des Albizzi pendus par les pieds au mur de ce Bargello où nous allons aujourd’hui contempler les chef-d’œuvre de Donatello, de Verrocchio, Michel Ange, et de ce voyou exquis de Cellini.

            Et je ne suis pas certain que dans notre commun intérêt pour l’art sacré, ou à contenu sacré, ne passe pas, précisément, la nostalgie plus ou moins inconsciente de ces temps aujourd’hui révolus où, à défaut d’adoucir les mœurs, l’art savait offrir aux hommes un langage commun, prémice sinon condition d’une authentique société humaine. Mesurons bien à quel point nous sommes loin de ces temps, où un Dante — dont je regrette chaque jour que l’étude de l’Épître XIII à Cangrande della Scala ne soit à titre obligatoire au programme de première année de toutes les écoles d’art de France et de Navarre — pouvait communier dans l’admiration des fresques de Giotto avec le plus humbles et le moins lettré des futurs Ciompi, nous qui avons Arte d’un côté, Loft Story de l’autre, et le porno de Canal + d’un troisième, parce que, qu’est-ce que vous voulez, il faut bien couvrir tous les créneaux, qui sont des marchés…

 

Art, marché, éducation

            À quoi bon alors, me dira-t-on, un enseignement artistique, en ce temps où tel musée d’art contemporain, remarquablement construit par l’un des plus grands architectes du moment, confie aux galeristes locaux, avec la charge de l’alimenter en œuvres, celle de battre eux-mêmes monnaie artistique ? Pourquoi grever ainsi le budget de l’État, quand de si obligeantes personnes seraient, n’en doutons pas, toutes disposées à assurer en partenariat la formation artistique d’une jeunesse par définition vivier de leur future clientèle ?

            Je pense que c’est justement parce que nous sommes dans cette situation que l’enseignement artistique s’impose plus que jamais comme une nécessité. Les raisons en sont, pour les deux premières, positives, et négative pour la troisième, non moins importante cependant.

            Si l’on veut bien admettre que l’avenir appartient à qui a la plus longue mémoire, et que — par-delà les vicissitudes dont son présent paraît vouloir témoigner — l’art a amplement mérité de n’être pas simplement reconnu comme une pièce parmi d’autre de la Kultur, mais constitue bien plutôt, en même temps qu’une composante au sens propre de l’épithète essentielle de la culture, un vecteur décisif de celle-ci — alors cette conclusion s’impose avec la nécessité d’une évidence qu’une part et un instrument aussi importants de l’expérience humaine ne peut demeurer plus longtemps aux marges sinon aux portes de nos établissements d’enseignement. Je n’entends pas remettre par là en cause les efforts de ceux qui militent inlassablement et depuis tant d’années pour l’enseignement artistique, mais au contraire les soutenir, et m’étonner de ce qu’ils aient encore à militer pour ce qui devrait être devenu de l’ordre de l’évidence. Il y aurait beaucoup à dire, par exemple, sur la difficulté qu’on rencontre à trouver ailleurs qu’auprès des familles le financement de ces voyages de découverte artistique indispensables pour permettre aux élèves les plus modestes, ou qui n’ont pas la chance d’être habitants de nos principales métropoles, ce contact direct avec les œuvres si justement assigné par nos programmes comme premier objectif à l’enseignement d’Histoire des arts — alors même que personne ne s’étonne des sommes qu’engloutit l’achat de systèmes informatiques promis pourtant par le progrès technologique à une obsolescence accélérée.

            La seconde raison est que l’art, en tant qu’il en appelle simultanément à la sensorialité, c’est-à-dire au corps, et à l’intelligence, c’est-à-dire à l’esprit, s’adresse plus qu’aucune autre activité humaine à cette totalité duale qu’est l’homme, en qui on ne peut pas ne pas distinguer ces deux pôles que la tradition nomme le corps et l’âme — quelle que soit au demeurant la manière dont on interprète ce distinguo dans l’ordre métaphysique, et dont on l’inscrit ou pas dans un horizon eschatologique et sothériologique. Il n’est pas à cet égard d’activité qui puisse plus que l’art revendiquer l’idéal antique du mens sana in corpore sano — même si c’est dans un sens sans doute un peu différent de celui que lui donnaient ses promoteurs latins, quoiqu’il puisse s’autoriser de la gaya scienza des troubadours d’Oc, et de la Casa Gioccosa de Vittorino da Feltro, modèle réel de notre hélas imaginaire Panurge. Pensé dans cette visée, en tout cas, l’enseignement artistique aurait vocation à s’imposer comme le barycentre d’un enseignement humaniste renouvelé.

            Certains doctes se plaisent à dénoncer comme une des, sinon la cause majeure de ce qu’on nomme « l’échec scolaire » (très improprement à mon sens, dès lors qu’il n’apparaît pas que les jeunes gens ayant accompli dans nos écoles et établissements les mêmes parcours que leurs devanciers se montre moins bons avocats, médecins, philosophes ou historiens de l’art qu’eux, mais passons) le prétendu « encyclopédisme » de notre enseignement, surtout secondaire : vocable sous lequel ils désignent à tort, s’ils le dénoncent à juste titre, l’érudition vaine et bovine, en se référant volontiers à la distinction montanienne entre tête bien faite et tête bien pleine — oubliant généralement que l’auteur des Essais la fait à propos non de l’élève, mais du maître, du « gouverneur », dont il déclare qu’il « voudrai[t] aussi qu’on fût soigneux de [le] choisir […], qui eût plutôt la tête bien faite, que bien pleine »[3] : Montaigne avait trop de jugement pour penser que sa vacuité pouvait seule donner belle forme à la tête, surtout quand elle est celle du maître, s’il entendait à juste titre souligner que le seul remplissage céphalique ne constituait pas davantage la condition suffisante de sa bonne facture, mais tout au plus sa condition nécessaire.

            Notre enseignement secondaire souffre d’un déficit criant d’encyclopédisme, en ce qu’une fausse conception de l’égale dignité des savoirs et des compétences a conduit à juger stupidement que la reconnaissance de celle-ci ne pouvait passer que par le refus de les combiner rationnellement, c’est-à-dire suivant des principes universels, pour se contenter de les juxtaposer en une belle et démocratique équivalence, dans un habit d’Arlequin valet de tous les maîtres. Équivalence démocratique qu’on ne pousse cependant pas jusqu’à salarier identiquement toutes les compétences et tous les savoirs, quand on passe aux choses sérieuses ! Cette coordination rationnelle des disciplines est pourtant indispensable à un enseignement se voulant non point formation, c’est-à-dire activité de mise en forme et à la forme, sinon de formatage, mais bien éducation, visant à cultiver des hommes être des horizons, à la faveur d’un processus visant non point à conforter dans ce qu’il est déjà celui qui, dès lors, ne justifie plus son nom d’élève (d’où peut-être le vilain mais significatif vocable d’apprenant, introduit en ses lieux et places par la novlangue pédagolâtre), mais au contraire à le pousser au-delà de lui-même — par quoi elle n’accomplit d’ailleurs que son devoir étymologique, puisqu’e-ducere, c’est conduire (ducere) hors de (ex).

            Si on laisse de côté les réflexions de Socrate et de ses interlocuteurs de La République sur l’enseignement à instituer dans l’idéale Kallipolis, d’où ceux qu’on appelle depuis les artistes devaient être bannis, les premiers à tenter de penser et de mettre concrètement en place un système d’éducation visant à la culture d’un homme total furent ces humanistes de la Renaissance à qui nous devons aussi de nommer « art » ce qui nous a réunis ces deux jours. Peut-être pourrions-nous y voir un signe de la vocation de l’enseignement artistique à être le creuset d’un encyclopédisme renouvelé dont le manque se fait sentir de manière de plus en plus crainte dans notre si peu système éducatif. À condition, bien sûr, qu’il ne soit pas confisqué par telle ou telle chapelle, qui porterait alors une grave responsabilité.

            Une responsabilité historique, même.

            Car — et c’est là ma troisième raison d’en affirmer la nécessité plus impérieuse que jamais pour l’école de la République — l’enseignement artistique apparaît indispensable pour fournir à la jeunesse les moyens d’une distance critique sans laquelle l’actuel développement accéléré de la société de communication, qui peut être une chance majeure pour la démocratie, aurait au contraire toutes les chances d’en devenir le tombeau — quitte à lui conserver une apparence télématique de vie.

            Dans notre civilisation de ce qu’il est convenu d’appeler « l’image », et qui n’en est hélas le plus souvent que l’ersatz et l’avatar mercantile, sous les espèces de ces « flux de visibilité » (Marie-José Mondzain) dont la télévision est, en attendant les réseaux à haut débit, le vecteur le plus commun, et les sociétés de programme les accoucheurs rien moins que désintéressés —, l’enseignement de l’art, qui n’aura jamais autant mérité de se revendiquer aussi enseignement par l’art, ressortit de la prophylaxie, et s’impose comme une exigence fondamentale pour un enseignement se voulant libérateur, comme celui institué en ce pays dans la continuité du mouvement des Lumières. Quelqu’un, hélas, l’a déjà bien compris, outre Alpes : le premier vidéocrate porté au pouvoir par l’une de nos modernes démocraties. Après avoir détruit, par son commerce vidéocratique, un cinéma italien dont sa vivacité artistique faisait l’ennemi naturel de celui-ci — ainsi que l’avait montré avec une prémonitoire lucidité le Federico Fellini de L’intervista et de Ginger et Fred et que le confirme le rôle éminent joué face à lui par l’un des derniers représentants de ce qui fut l’un des premiers cinémas du monde, Nanni Moretti —, et qui constituait comme art le meilleur antidote au magma audiovisuel déversé du soir au matin et d’un bout de la péninsule à l’autre par ses chaînes, nous le voyons aujourd’hui s’attaquer, sous son faux nez de président du conseil, aux institutions culturelles et aux enseignements artistiques.

            C’est que l’inculture ou la déculturation artistique comportent pour la vidéocratie des sociétés de programmes un double avantage, ou plutôt un double intérêt.

            Elles privent les clients de celles-ci, qui sont aussi bien d’ailleurs leur marchandise par publicité interposée, du savoir regarder et du savoir écouter sans lesquels ceux-ci ne peuvent avoir le moindre recul critique vis-à-vis de leurs sollicitations, qui deviennent ainsi de véritables quoique cryptiques impératifs, instituteurs d’un despotisme qui pour être télématique, bénin, consenti et favorable à la circulation monétaire, n’en est pas moins un despotisme, ne présentant par rapport à ses prédécesseurs que la différence de l’hypocrisie.

            Et elles permettent à ces sociétés de programmes et à leurs séides communicants de s’approprier le formidable trésor de formes mises au point et accumulées par l’art au fil de son histoire, pour l’exploiter à son profit avec une efficacité d’autant plus redoutable que le peuple réduit à sa figure vidéocratique de public sera davantage ignorant de ce trésor qui est pourtant le sien, et une rentabilité d’autant plus grande que l’élaboration de ces instruments n’aura guère pesé sur ses coûts de production. En ces temps de commémoration surréaliste, j’en vois l’une, sinon des plus superbes, du moins des plus flagrantes illustrations, dans la récurrente récupération publicitaire d’un Magritte, dont l’œuvre est pourtant de part en part invitation à ne pas céder inconsidérément aux séductions d’images vues, mais non point regardées.

            Regarder n’est pas la même chose que voir : on regarde pour voir ce qu’on n’aurait pas vu si on ne l’avait pas regardé, disait à peu près Wittgenstein, et on pourrait d’analogue manière opposer entendre et écouter. Apprendre à regarder un film, un tableau, une statue, à écouter un concert ou la tirade d’un comédien, constituent sans doute la meilleure propédeutique possible d’une attitude critique face aux flux de visibilités et de sonorités dont nous abreuve le développement d’une communication animée par l’ambition structurale de faire toujours davantage de nous non seulement ses clients, mais sa première marchandise en tant que consommateurs programmables, en ces temps hallucinés et bruyants, qui feraient bien de méditer la parole du mystique : « c’est dans la ténèbre que je vois, et dans le silence que j’entends ».

            Leçon nous en fut administrée, et d’admirable manière, par Béatrice Sarrazin : combien de temps lui a-t-il fallu pour nous conduire à regarder, et non plus seulement voir, la belle et si mystérieuse Madone des palefreniers — donnant ainsi une magnifique illustration de la belle parole inspirée à Dominique Ponneau par le chant muet de l’Orphée de Poussin, « en peinture, les yeux sont l’instrument des voix » ? Merveilleux défi au culte contemporain et informatisé de cette curieuse sorte de temps qualifié de « réel » par une inconsciente antiphrase, que cet arrêt sur image sans lequel l’image n’est que visibilité, stimulus appelant un réflexe plutôt que matière à réflexion. Mais quel gaspillage ! Et de combien de vignettes défilant en accéléré eût pu, dans le même temps, nous abreuver le premier auteur de clip venu, publicitaire ou autre !

            L’enseignement artistique, s’il sait apprendre à nos jeunes gens à regarder plutôt qu’à voir, à écouter plutôt qu’à entendre, aura bien mérité d’une démocratie dont Péguy aimait à dire qu’elle ne saurait être sans être aussi bien démopédie.

 

Les voix de la parole

            Pour cela, il devra s’assumer pleinement comme un enseignement, avec tout ce que cela peut comporter, parfois, d’ingrat, de pénible, voire de rébarbatif — mais Platon nous a depuis longtemps averti que la sortie de la caverne ne peut se faire sans une certaine violence : on peut simplement espérer qu’en art, la beauté des œuvres, qu’on ose de nouveau évoquer sans rougir, pourra la compenser au moins partiellement.

            Nous touchons là au troisième problème que me paraissent avoir soulevé nos débats, celui des formes de l’enseignement de l’art, de sa pédagogie, si l’on préfère.

            Il est incontestable que le caractère peut-être le plus fondamental de l’œuvre d’art est ce qu’on a nommé jadis son aura, et naguère sa présence : cette capacité de focaliser notre attention, qui fait que nous regardons la tête d’obsidienne, alors même que nous ignorons par qui, pour qui, et pour quoi, elle fut sculptée. Me revient immédiatement à la mémoire ma sidération face à la statue d’un Ganjin dont je savais encore moins à l’époque qu’aujourd’hui, n’étant guère spécialiste du bouddhisme, et a fortiori de sa version nipponne, lorsqu’elle fut exposée au Petit Palais. Ou mon interpellation, lors de ma première visite au Rijkmuseum, par le petit autoportrait de Rembrandt installé dans la salle voisine de celle de La Ronde : le peintre encore jeune s’y est représenté coiffé d’un chapeau demeurant pour l’essentiel hors champ, et dont l’ombre occulte aux trois quarts son visage, sans nuire bien au contraire à l’intensité du regard avec lequel il fixe le spectateur qui lui fait face — ou même, je l’ai d’abord expérimenté ainsi, lui tourne le dos.

            Malraux a composé, sur cette dimension de l’art qui est en effet essentielle, d’admirables variations, cibles implicites, il y a un demi-siècle, du génial Les statues meurent aussi, coréalisé avec Chris Marker par l’alors futur gendre de l’également futur Ministre des Affaires Culturelles, Alain Resnais, mais dont on ne saurait davantage qu’avec un film balayer d’un trait de plume ou d’un bon mot la pertinence, au motif de l’usage que faisait son auteur d’un télescopage photographique sans doute inspiré a contrario par le Benjamin de L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée. Ce qui fait le plus légitimement douter de la qualité d’art d’un certain art contemporain, c’est précisément l’incapacité de ses œuvres ou « productions » à mettre en arrêt le spectateur n’ayant pas lu, médité et digéré, autant et pour autant que faire se peut, son mode d’emploi — quand il n’est nul besoin d’être un spécialiste du zen pour admirer, au sens cartésien du terme (« L’admiration est une subite surprise de l’âme, qui fait qu’elle se porte à considérer avec attention les objets qui lui semblent rares et extraordinaires »[4]), la statue, ni d’avoir connaissance de la subtile justification théologique de l’égale jeunesse de la mère et du fils fournie à Condivi par Michel Ange, pour admirer dans la même mesure la Pietà de Saint Pierre. Et quand, comme le rappelait avec humour et profondeur Neil Mac Gregor, une duchesse anglaise et une femme du peuple peuvent, face au Christ aux liens de Vélázquez — j’aurais presque envie de dire par sa grâce — connaître une communauté de sentiments dont il y a gros à parier qu’aucun autre objet ni circonstance ne sauraient fournir l’occasion ; même si l’on doit observer qu’à défaut d’autre chose, la lady et la femme du peuple partageaient au moins, sinon une identique foi, du moins une même tradition religieuse.

Mais si les voix du silence sont bien plus qu’un mythe, on doit aussi reconnaître avec Régis Debray que Malraux a sans doute attendu d’elles plus qu’elles ne pouvaient et peuvent donner, savoir cette communauté spirituelle à laquelle l’Occident ne cesse d’aspire avec plus ou moins de franchise ou de lucidité depuis Auguste Comte. Et sans doute avait-il aussi vu dans la culture dont il fut à tous les sens du mot le ministre, un moyen de court-circuiter le long et laborieux travail d’apprentissage impliqué par la construction du savoir, et avec lui le ministère en charge d’une instruction publique par trop besogneuse sans doute aux yeux de celui dont avant l’action réelle, qui ne fut certes négligeable ni dans l’escadrille España, ni à la tête de la brigade Alsace Lorraine, le seul verbe romanesque avait su inscrire le nom dans l’Histoire.

Certains semblent croire, au moins par instants, que la puissance d’émotion caractéristique des grandes œuvres suffit à garantir leur intelligibilité, et que l’art peut en ces temps de déliaison sociale fournir une manière d’espéranto ayant sur l’original le mérite de ne pas devoir s’apprendre avant de pouvoir se comprendre et pratiquer. Dangereuse illusion que celle-là, dont les œuvres d’art à contenu religieux nous font mieux que d’autres encore mesurer l’inanité ! Si la connaissance de la théologie et de l’histoire de l’église ne constitue pas la condition préalable à notre admiration du Couronnement de la Vierge d’Enguerrand Quarton, elle est en revanche requise pour nous permettre de comprendre notre admiration, ne fût-ce qu’en mesurant l’intelligence avec laquelle le peintre a su négocier avec les obligations du prix-fait. Paraphrasant un Saint Augustin souvent cité dans ce colloque, je dirai volontiers « intellige ut amas » : l’admiration spontanée que savent nous inspirer les œuvres d’art, et singulièrement celles que nous nommons chef-d’œuvre, n’est pas contrariée par la connaissance de leur fonction originelle, de leur condition de production, des enjeux de celle-ci, etc. — bref, de tout ce que peuvent nous apprendre sur elles les sciences de l’art ; elle s’en conforte et nourrit. On regarde avec infiniment plus d’intensité et d’admiration pour le génie du cinéaste la scène du bain turc, dans l’Othello de Welles, quand on sait pourquoi celui-ci a été conduit à tourner dans ce cadre le meurtre de Cassio ; le miroir des Époux Arnolfini se regarde autrement, comme la signature qu’il supporte, avec son singulier « fuit » substitué à l’habituel « pinxit », quand on sait que les peintres étaient à Bruges inscrit dans la corporation des miroitiers — et sa connaissance donne une autre saveur à son surgissement dédoublé, dans l’Othello wellesien ; il vaut mieux connaître le mot de Baudelaire d’après lequel la principale ruse du diable, c’est de nous faire croire qu’il n’existe pas, pour goûter le face à face, dans Eyes wid shut, de Tom Cruise et de Sideney Pollack, devant un billard dont le tapis est rouge ; il faut absolument connaître l’usage des anges musiciens dans la peinture de Giovanni Bellini — qui est aussi celui du maître véronais à la crociera de la Villa Barbaro, construite par son ami Palladio —, pour être attentif à la dispute des anges musiciens, dans le Spozalizzio di Santa Caterina de Véronèse, et ressentir la part de leurre que comporte la somptueuse robe de patricienne vénitienne dont le peintre, trop souvent vu comme le chantre de la frivolité, a vêtu la sainte.

C’est au ridicule Mascarille que Molière fait dire : « les gens de qualité savent tout, sans avoir jamais rien appris ».

Les voix du silence ne dispenseront pas l’enseignement de l’art d’emprunter les voies du travail et de l’étude, souvent moins suaves. L’attention présentement portée aux œuvres d’art à contenu religieux et aux conditions de leur réception, témoigne de ce que la conscience de cette nécessité est heureusement en train de se développer.

Et ce beau colloque, Intelligence de l’art et culture religieuse aujourd’hui, mériterait de rester dans les annales ne fût-ce que pour l’avoir montré — en démontrant du même coup que le sentiment et l’intelligence, la liberté et la règle, la puissance créatrice et la contrainte, ne sont pas incompatibles, à l’encontre de ce que pensaient tels aspirants écrivains raillés par Marcel Aymé, et une certaine idéologie de la « créativité » refusant de voir que l’authentique puissance créatrice se nourrit de culture, laquelle n’est fatale qu’à sa caricature, qui se juge d’autant plus novatrice qu’elle ignore ses précédents, et croit atteindre à l’originalité quand elle ne fait que sombrer dans l’inanité de l’absurde. Sans le préalable du Louvre, Gauguin eût-il su découvrir en Bretagne autre chose que du folklore, et à Tahiti davantage qu’un endroit où séjourner en faisant des économies sur son budget vêtement ?

  P. Cardinali

                                                                                   

[1] Heidegger, La question de la technique in Essais et conférences, Gallimard, Tel, p. 32

[2] Ibid., p. 22.

[3] Montaigne, Essais, L. I, ch. XXV. De l’institution des enfants.

[4] Descartes, Traité des passions, I, § 70

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ETUDES 

        Thème : La Renaissance ( 1470-1560)

Galleria degli Uffizi, Florence  

PREMIERE PARTIE :  BASES DE DONNEES 

Quick Index :80.000 Oeuvres répértéroriées .

Musique Renaissance : de nombreuses oeuvres musicales classées par auteur.

Civilisation de la Renaissance: cours et bibloigraphie

Centre d'Etudes supérieures de la Renaissance : 

Enluminures de la Bibliothèque de Lyon :: http://www.bm-lyon.fr/enluminures.htm

Textes électroniques et études sur la Renaissance:http://www.mshs.univ-poitiers.fr/adoni/Epistemon.htm

Auteurs anglais: Bases de données prosopographiques http://margotte.univ-paris1.fr/~ducourtieux/aut1.html

Revue italienne consacrée à Bruno et Campanella : : http://www.bruniana-campanelliana.com

Centres d'études sur la Réforme et l'Humanisme : http://odalix.univ-bpclermont.fr

Galiléo project : Base de données sur les scientifiques du XVI è et XVII èhttp://es.rice.edu/ES/humsoc/Galileo/

 

                           Thème: L'Art Pariétal ou les grandes oeuvres de l'aube de l'Humanité.

Lascaux Ponctuation signes & blason.jpg (188118 octets)  Signes,Symboles &Ponctuation à Lascaux.

La découverte de la Grotte Chauvet remet en question  les conceptions sur l'évolution  de  l'art pariétal ... 

 La Grotte de lascaux,site officiel : découvrir et s'initier aux techniques paléolithiques

http://www.culture.fr/culture/arcnat/lascaux/en/

La Grotte Chauvet,site officiel :

http://www.culture.fr/culture/arcnat/chauvet/fr/

Première découverte par la Presse:

Aucun journaliste n'a pu encore visiter la grotte Chauvet, découverte en 1994, dont les peintures, chefs-d'œuvre de l'art rupestre et quinze mille ans plus anciennes que celles de Lascaux, révèlent une sensibilité très moderne. Un des grands critiques d'art contemporain, John Berger, a pu y pénétrer dans le cadre d'une mission scientifique et nous fait part de ses impressions. De son côté, le psychanalyste Serge Tisseron explique pourquoi les hommes d'aujourd'hui éprouvent une telle passion pour la préhistoire. 

http://www.monde-diplomatique.fr/2002/08/BERGER/16786

Art préhistorique : Grandes Bases de données avec liens ( en anglais principalement)

http://witcombe.sbc.edu/ARTHprehistoric.html#paleolithic

Centre National de la Préhistoire : Recherches,traitement et conservation archéologiques

http://www.culture.fr/culture/cnp/fr/cnp_02.htm

 

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Black On White Session

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Photographies Expressions-libres.org / Nadia Burgrave / 

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RENDEZ - VOUS :    LONDRES - PARIS - NEW YORK-TOKYO-BERLIN-AMSTERDAM-PEKIN-MOSCOU-NAIROBI-NEW DELHI-CAIRO-JERUSALEM-MEXICO ETC...

 

 

Exposition en cours ORSAY
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Les chefs d'oeuvre de la collection photographique du musée d'Orsay
du 29 octobre 2002 au 23 février 2003

Prochaines expositions
Galerie permanente de photographie
La beauté documentaire, 1840-1914
du 8 avril au 29 juin 2003

Salles d'expositions temporaires
Un art nouveau. Le daguerréotype français
du 15 mai au 17 août 2003

Galerie permanente de photographie
Au tournant du siècle, deux tendances:
le Pictorialisme et Eugène Atget
du 15 juillet au 19 octobre 2003


Expositions depuis l'ouverture du musée
Toutes les expositions depuis 1986

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Otto DIX ,d'une guerre à l'autre   http://www.centrepompidou.fr/Pompidou/Home.nsf/docs/expos?Opendocument

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LE LOUVRE http://www.louvre.fr/

Communiqué de presse M i c h e l -A n g e -les dessins du Louvre  (26 MARS-23 JUIN 2003)


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ACTUALITES CINEMATOGRAPHIQUES

 

 

Chronicart- Webmag' culturel http://www.chronicart.com/

Respublica rubrique cinéma http://www.revuerespublica.com/index.php3?page=cinema/genre&ng=drame

Zaziweb coomunauté de e-lecteurs http://www.zazieweb.fr/

Positif  (revue,moteur de recherche)  http://www.jmplace.com/positif.cfm

Cahier du cinéma (revue)  http://www.cahiersducinema.com/

Paru.com actualité du DVD http://www.parutions.com/index.php?pid=3&PHPSESSID=446205d3159d8415676fc8b121f8cb20


EX PLOITATION PEDAGOGIQUE 

- Dossier C.CHAPLIN : Le Kid ,Le Dictateur 

http://www.france5.fr/chaplin/W00207/1/73552.cfm

                   Le Dictateur
                        de et avec Charles Chaplin (1940).

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    LE PIANISTE DE R.POLANSKI

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ARTS  & PHILATHELIE 

 

  

 

      les innombrables formes d'utilisation des oeuvres de Gustav Klimt (1862-1918) montrent l'insatiable fascination qu'exerce le peintre sur nos esprits en Europe .. Aucun artiste même Picasso voire  même Warhol n'est aussi présent que lui en tant que support , objet  domestique  ou publicitaire particulièrement en Autriche,le contraire serait d'ailleurs étonnant. Mais est-il  anodin que la Poste  ait sacrifiée à cette Klimt'mania en proposant  Le Baiser en timbre-poste dans la série Collection ? Gustav Klimt peintre énigmatique a laissé peu d'écrits ,seules ses oeuvres parlent de lui et de sa vision de l'Art . .Que révèle ce tableau des profondeurs humaines?

http://artcyclopedia.com/artists/klimt_gustav.html  donne un bon  coup d'oeil sur l'oeuvre du peinte énigmatique.

Un siècle   au Fil du Timbre : collection comportant six thèmes pour célébrer le XX è siècle.

www.laposte.fr

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